Prédire l'Avenir en regardant l'Histoire

L'Atelier Prospère
du Jeudi

[ #9 ]
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14 décembre 2023
Bienvenue dans ce neuvième numéro qui marque huit semaines de publication régulière (c'est le coup des poteaux et des intervalles 🤠).
Dans cette newsletter je partage réflexions et conseils sur des sujets en lien (parfois lointain, certes) avec les Bricoleurs, le Bricolage, et l'Entrepreneuriat.
Si cette publication vous apporte de la valeur, pensez à la partager avec les copains qui peuvent voir les anciens numéros et s'inscrire ici.

L'Open Source, c'est pour les Riches (épisode 2)

Bon, c'est un billet un peu long, alors je vous autorise à sauter à la conclusion si je deviens ennuyeux 😁
Et n'hésitez pas à me faire vos retours sur le contenu de l'APJ : Ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant.
(Comme dirait ma femme : je ne suis pas dans ta tête !)
Peter Falk
La semaine dernière j'avais lancé un pavé dans la marre au sujet de l'Open Source et j'ai eu quelques mails de réactions pour défendre l'intérêt de ce principe.
Il me faut donc redire ici que ce n'est pas l'intérêt de la philosophie Open Source que j'ai remis en cause.
Au contraire, je trouve ça vachement intéressant 🐮
Ce qui me semble risqué, c'est son utilisation comme base de développement pour une petite ou moyenne structure qui vend du produit (machines et/ou logiciels).
Sur ça, vraiment, je mets les aspirants entrepreneurs en garde (en gras ↑).
Et je ne sors pas cet avis de mon chapeau, il est étayé par un certain nombre de faits historiques, et je m'en vais vous en conter quelques uns : 1/ pour justifier mon propos, et 2/ parce que vous aimez bien les histoires (moi aussi 😄).

Adrian Bowyer et RepRapPro Ltd

En 2005, Adrian Bowyer - un britanique - lance le RepRap project qui est l'idée de créer des imprimantes 3D à dépôt de filament fondu auto-réplicantes (= elles peuvent imprimer leurs propres pièces).
Soit dit en passant, le brevet de cette technologie (le dépôt de filament fondu) est détenu à l'époque par Stratasys et n'expirera qu'en 2009. Bowyer a donc un peu anticipé, mais il sait que le projet va prendre du temps avant que ce soit utilisable, il anticipe. Et finalement c'est justement vers 2009-2010 qu'on commence a avoir des trucs qui fonctionnent, donc il était dans les clous finalement.
Bowyer voit bien que le challenge logiciel et électronique est monstrueux pour une seule personne ou même une équipe réduite.
Il lance donc le projet en Open Source pour que le monde entier puisse participer.
Et ça prend, il y a un réel engouement.
Pronteface, Repetier, Slic3R, Marlin, Prusa-Mendel, les logiciels, firmwares et machines finissent par voir le jour et être fonctionnels en même temps que le brevet de Stratasys expire et qu'il devient possible de faire des sous avec cette techno.
Mais c'est encore le bordel pour réunir un kit complet d'imprimante 3D et devant la demande croissante, Bowyer crée RepRapPro Ltd en 2012 qui est la première entreprise sérieuse de vente de kits de RepRap.
D'ailleurs en 2012, le regretté Papy Kilowatt m'avait demandé conseil pour s'équiper d'une machine et je lui avais donné le tuyau. Comme à son habitude il avait maîtrisé la bête en un rien de temps et toutes les pièces imprimées en 3D visibles sur son site ont été produites avec ce kit.
À ses débuts, l'entreprise familiale de Bowyer est florissante. Pourtant Reprapro fermera début 2016 à cause de la concurrence de toutes les petites et grosses entreprises qui copient le produit dans le monde entier (et qui ont le droit de le faire, because l'Open Source).
Dans un post du forum RepRap.org, Adrian écrit ceci :
It has not escaped my attention that this great flowering of small companies (all essentially based on the RepRap Project) making commercial life difficult for each other was pretty-much what I predicted when I started the Project (see various old videos of me giving talks online). We (the RepRapPro Directors) knew that this was eventually going to happen when we started. But we expected it to take decades, not four years.
En résumé : il savait que ça allait finir comme ça, mais c'est allé beaucoup beaucoup plus vite que ses estimations !

Brook Drumm et Printrbot

En 2013, Brook Drumm lève 830 827$ sur la plateforme Kickstarter sur la base d'une petite imprimante en kit pas chère.
(Huit-cent-trente-mille-huit-cent-vingt-sept dollars, vindiou !)
Respect à lui, il produira et livrera les 1800 kits de machines (il en a bavé 😵).
Dans la foulée il crée Printrbot, une société qui invente, fabrique et vend des imprimantes 3D à structure bois puis métal avec des designs très originaux.
La printrbot simple métal
Toutes ses créations sont cependant Open Source pour respecter les règles de la licence initiale.
Après quelques belles années, il fera faillite en 2018 avec l'explosion des productions asiatiques dont certaines ont joyeusement et légalement utilisé des procédés qu'il avait mis au point.
On doit d'ailleurs trouver en cherchant bien un live sur sa chaîne YouTubeil prédit cela et où il exprime le risque du modèle Open Source pour son entreprise.

Pivoter pour surmonter le problème

En France, Tobeca a pivoté de façon très intelligente (et cou...ue, chapeau Adrien Grellet 👏).
Quand le marché de l'imprimante 3D amateur a commencé à se faire attaquer par les productions asiatiques, Adrien a réorienté Tobeca vers la fabrication d'imprimantes 3D professionnelles sur mesure.
Encore une fois, l'Open Source qui avait permis la création de l'activité de fabrication-vente des Tobeca 1 et 2 a ensuite été la cause de l'arrêt de cette même activité quelques années plus tard.
Petit fait de gloire, la Tobeca 3 trône en bonne place dans l'atelier de Lupin dans la série du même nom. (Mais ça ne paye pas les factures.)

Mêmes les grosses boites s'y cassent les dents

Je vous avais parlé de l'utilisation de l'Open Source pour faire du virtue signaling (vertu ostentatoire en français, mais c'est moins parlant je trouve). Un bel exemple est celui de la Twizy de Renault.
En 2017 le constructeur a mis ses plans de ce kart-voiturette électrique en Open Source. Bien évidement en grande pompe, au CES de Las Vegas (le Consumer Electronic Show).
C'est typiquement le genre de move qui ne leur a rien coûté mais qui leur a apporté de la visibilité en étant "à la mode".
Bon, pour que ce ne soit pas trop évident, ils ont intégré le truc dans le projet POM qui visait à créer une plateforme de véhicule Open Source.
Le communiqué du POM
Oh surprise (vraiment ? 🙄), le projet est désormais abandonné.
Mmmmh, peut-être se sont-ils rendu compte que ce n'était pas très intéressant pour la survie de l'entreprise ?

Bref, pour synthétiser l'idée que je défends ici :

  • L'Open Source c'est génial du côté utilisateur (sécurité du code, liberté d'utilisation, possibilité de faire des sous avec, résoudre des soucis qui ne sont pas traités par les solutions propriétaires...).
  • L'Open Souce c'est génial à utiliser pour faire du service parce qu'on peut avoir gratuitement des outils de production puissants et les adapter à ses besoins.
  • L'Open Source c'est super sympa d'y participer quand on a les compétences, le temps, l'argent (et l'intérêt) pour cela, on participe à une œuvre collective, on agrège des idées, on se sent partageur et vertueux (et ça fait du bien hein, je ne suis pas caustique en écrivant cela).
  • Mais selon moi, bâtir en France (pays à la fiscalité démente 😭) une activité de vente de produit matériel et/ou logiciel sur la base d'une publication Open Source, et bien c'est franchement casse-gueule sur le long terme. Ça va marcher le temps de prouver qu'il y a un marché, puis la concurrence va se ramener à grands pas et vous éclater au sol.
Voilà, j'espère n'avoir pas été trop rébarbatif avec ce sujet mais le but de cette newsletter est aussi de conseiller les Solopreneurs Techniques en herbe en me basant sur ma propre expérience.
Et si par ce texte je peux vous éviter de tomber dans le panneau, ou au moins vous rendre méfiant, et bien ce sera mission accomplie 😃

Ma prévision sur Prusa ⏳

Prusa Research, historique fabriquant tchèque d'imprimantes 3D amateurs, est souvent cité comme l'exemple d'une réussite d'une entreprise et d'un produit basée sur l'Open Source (notamment dans deux des mails que j'ai reçus).
Et bien moi, je pense que Prusa est lui aussi en train de se faire manger par la concurrence.
Oh bien entendu, c'est imperceptible pour le moment, on ne le voit pas encore.
Mais je pense que FLSun (Chine) a doucement commencé le processus et que Bambulab (Chine et USA) a enclenché un braquet supplémentaire.
A mon avis ils ne pourront pas faire face longtemps et devront changer de modèle, s'orienter vers les machines pros ou se réinventer complètement.
L'avenir nous le dira, ils sont inventifs, mais je pense que leur modèle actuel va évoluer.
On parie 😉 ?
Merci beaucoup de m'avoir lu, et à jeudi prochain.
Renaud

D'Ingénieur/Maker
à Solopreneur Technique,
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