L'Open Source, c'est pour les Riches (épisode 2)
Bon, c'est un billet un peu long, alors je vous autorise à sauter à la conclusion si je
deviens
ennuyeux 😁
Et n'hésitez pas à me faire vos retours sur le contenu de l'APJ : Ce qui va sans
dire
va
toujours mieux en le disant.
(Comme dirait ma femme : je ne suis pas dans ta tête !)
La semaine dernière j'avais lancé un pavé dans la marre au sujet de l'Open Source et j'ai eu
quelques mails de réactions pour défendre l'intérêt de ce principe.
Il me faut donc redire ici que ce n'est pas l'intérêt de la philosophie Open Source que j'ai
remis en cause.
Au contraire, je trouve ça vachement intéressant 🐮
Ce qui me semble risqué, c'est son utilisation comme base de développement pour une
petite ou moyenne structure qui vend
du produit (machines et/ou logiciels).
Sur ça, vraiment, je mets les aspirants entrepreneurs en garde (en gras ↑).
Et je ne sors pas cet avis de mon chapeau, il est étayé par un certain nombre de faits
historiques, et je m'en vais vous en conter quelques uns : 1/ pour justifier mon propos, et 2/
parce que vous aimez bien les histoires (moi aussi 😄).
Adrian Bowyer et RepRapPro Ltd
En 2005, Adrian Bowyer - un britanique - lance le RepRap project qui est l'idée de
créer
des imprimantes 3D à dépôt de filament fondu auto-réplicantes (= elles peuvent imprimer leurs
propres pièces).
Soit dit en passant, le brevet de cette technologie (le dépôt de filament fondu) est détenu à
l'époque par Stratasys et n'expirera qu'en 2009. Bowyer a donc un peu anticipé, mais il sait que
le
projet va prendre du temps avant que ce soit utilisable, il anticipe. Et finalement c'est
justement
vers 2009-2010 qu'on commence a avoir des trucs qui fonctionnent, donc il était dans les clous
finalement.
Bowyer voit bien que le challenge logiciel et électronique est monstrueux pour une seule
personne
ou même une équipe réduite.
Il lance donc le projet en Open Source pour que le monde entier puisse participer.
Et ça prend, il y a un réel engouement.
Pronteface, Repetier, Slic3R, Marlin, Prusa-Mendel, les logiciels, firmwares et machines
finissent par voir le jour et être fonctionnels en même temps que le brevet de Stratasys expire
et
qu'il devient possible de faire des sous avec cette techno.
Mais c'est encore le bordel pour réunir un kit complet d'imprimante 3D et devant la demande
croissante, Bowyer crée RepRapPro Ltd en 2012 qui est la première entreprise sérieuse de vente
de
kits de RepRap.
D'ailleurs en 2012, le regretté Papy Kilowatt m'avait demandé conseil pour s'équiper d'une
machine et
je lui avais donné le tuyau. Comme à
son
habitude il avait maîtrisé la bête en un rien de temps et toutes les pièces imprimées en 3D
visibles sur son site ont été produites avec ce kit.
À ses débuts, l'entreprise familiale de Bowyer est florissante. Pourtant Reprapro fermera
début
2016 à cause de la concurrence de toutes les petites et grosses entreprises qui copient le
produit
dans le monde entier (et qui ont le droit de le faire, because l'Open Source).
Dans un post du forum
RepRap.org, Adrian écrit ceci :
It has not escaped my attention that this great flowering of small companies (all
essentially
based on the RepRap Project) making commercial life difficult for each other was pretty-much
what I predicted when I started the Project (see various old videos of me giving talks
online).
We (the RepRapPro Directors) knew that this was eventually going to happen when we started.
But
we expected it to take decades, not four years.
En résumé : il savait que ça allait finir comme ça, mais c'est allé beaucoup beaucoup
plus vite que ses estimations !
Brook Drumm et Printrbot
(Huit-cent-trente-mille-huit-cent-vingt-sept dollars, vindiou !)
Respect à lui, il produira et livrera les 1800 kits de machines (il en a bavé 😵).
Dans la foulée il crée Printrbot, une société qui invente, fabrique et vend des imprimantes 3D
à
structure bois puis métal avec des designs très originaux.
Toutes ses créations sont cependant Open Source pour respecter les règles de la licence
initiale.
Après quelques belles années, il fera faillite en 2018 avec l'explosion des productions
asiatiques dont certaines ont joyeusement et légalement utilisé des procédés qu'il avait mis au
point.
On doit d'ailleurs trouver en cherchant bien un live
sur sa chaîne YouTube où
il prédit
cela
et où il exprime le risque du modèle Open Source pour son entreprise.
Pivoter pour surmonter le problème
En France, Tobeca a pivoté de façon très intelligente (et cou...ue, chapeau Adrien Grellet
👏).
Quand le marché de l'imprimante 3D amateur a commencé à se faire attaquer par les productions
asiatiques, Adrien a réorienté Tobeca vers la fabrication d'imprimantes 3D professionnelles sur
mesure.
Encore une fois, l'Open Source qui avait permis la création de l'activité de fabrication-vente
des Tobeca 1 et 2 a ensuite été la cause de l'arrêt de cette même activité quelques années
plus tard.
Petit fait de gloire, la Tobeca 3 trône en bonne place dans l'atelier de Lupin dans la série
du
même nom. (Mais ça ne paye pas les factures.)
Mêmes les grosses boites s'y cassent les dents
Je vous avais parlé de l'utilisation de l'Open Source pour faire du
virtue
signaling (
vertu ostentatoire en français, mais
c'est moins parlant je trouve). Un bel exemple est celui de la Twizy de Renault.
En 2017 le constructeur a mis ses plans de ce kart-voiturette électrique en Open Source. Bien
évidement en grande pompe, au CES de Las Vegas (le Consumer Electronic Show).
C'est typiquement le genre de move qui ne leur a rien coûté mais qui leur a apporté
de
la visibilité en étant "à la mode".
Bon, pour que ce ne soit pas trop évident, ils ont intégré le truc dans le projet POM qui
visait
à créer une plateforme de véhicule Open Source.
Oh surprise (vraiment ? 🙄), le projet est désormais abandonné.
Mmmmh, peut-être se sont-ils rendu compte que ce n'était pas très intéressant pour la survie
de
l'entreprise ?
Bref, pour synthétiser l'idée que je défends ici :
- L'Open Source c'est génial du côté utilisateur (sécurité du code, liberté
d'utilisation, possibilité de faire des sous avec, résoudre des soucis qui ne sont pas
traités
par les solutions propriétaires...).
- L'Open Souce c'est génial à utiliser pour faire
du service parce qu'on peut avoir gratuitement des outils
de
production puissants et les adapter à ses besoins.
- L'Open Source c'est super sympa d'y participer quand on a les compétences,
le
temps, l'argent (et l'intérêt) pour cela, on participe à une œuvre collective, on agrège des
idées, on se sent partageur et vertueux (et ça fait du bien hein, je ne suis pas caustique en
écrivant cela).
- Mais selon moi, bâtir en France (pays à la fiscalité démente 😭) une activité de
vente
de produit matériel et/ou logiciel sur la base d'une publication Open Source, et bien
c'est
franchement casse-gueule sur le long terme. Ça va marcher le temps de prouver
qu'il
y a un marché, puis la concurrence va se ramener à grands pas et vous éclater au sol.
Voilà, j'espère n'avoir pas été trop rébarbatif avec ce sujet mais le but de cette
newsletter est aussi de conseiller les Solopreneurs Techniques en herbe en me basant
sur
ma
propre expérience.
Et si par ce texte je peux vous éviter de tomber dans le panneau, ou au moins vous rendre
méfiant, et bien ce sera mission accomplie 😃
Ma prévision sur Prusa ⏳
Prusa Research, historique fabriquant tchèque d'imprimantes 3D amateurs, est souvent cité
comme
l'exemple d'une réussite d'une entreprise et d'un produit basée sur l'Open Source (notamment
dans
deux des mails que j'ai reçus).
Et bien moi, je pense que Prusa est lui aussi en train de se faire manger par la
concurrence.
Oh bien entendu, c'est imperceptible pour le moment, on ne le voit pas encore.
Mais je pense que FLSun (Chine) a doucement commencé le processus et que Bambulab (Chine et
USA)
a enclenché un braquet supplémentaire.
A mon avis ils ne pourront pas faire face longtemps et devront changer de modèle, s'orienter
vers
les machines pros ou se réinventer complètement.
L'avenir nous le dira, ils sont inventifs, mais je pense que leur modèle actuel va évoluer.
On parie 😉 ?
Merci beaucoup de m'avoir lu, et à jeudi prochain.
Renaud